« Je vois ce que tu vois » est un projet de narration vidéoludique qui s’inscrit dans le prolongement des deux précédents projets « Écrire le futur » et « The Liar 2023 » et poursuit son exploration des univers de fiction et des modalités de déplacement spatial à l’intérieur d’un jeu vidéo. Le joueur incarne en vue subjective un personnage qui doit trouver les 7 lettres ouvertes précédemment créées par les étudiant•es, pour recomposer la personnalité et la mémoire d’Herbie au travers d’énigmes. L’espace où se déroule le jeu est ainsi composé de différentes pièces à parcourir dans un ordre non linéaire, tandis que trouver le bon point de vue dans chacune d’entre elles permet de passer à la pièce suivante (exemples : une image en 2D prend forme en 3D, des objets ou les lettres d’un mot apparaissent et disparaissent en fonction des déplacements…).
Plusieurs références sont mobilisées autour de la problématique d’édifier un monde reposant sur la question du déplacement dans l’espace, notamment l’œuvre « Sonata » (1991-1993) de Grahame Weinbren, qui entre particulièrement en résonance avec le projet.
« Dans l’espace architectural de la pièce, un regardeur découvre différents fragments d’histoire, et le mouvement dans l’espace donne accès aux histoires et interfère dans leur manière de se combiner. » Grahame Weinbren
– D’un espace, l’autre : Les étudiant•es se demandent par ailleurs dans quelle mesure l’espace formel peut soutenir la projection de l’espace mental. Ce questionnement porte principalement sur le type de formes architecturales où pourrait évoluer Herbie et sur les formes d’espaces qui pourraient s’apparenter à ses différents états d’esprit. Ils se sont notamment intéressés aux univers déployés dans « 2001, l’Odyssée de l’espace », et dans le jeu vidéo Portal (visuels ci-dessous). C’est finalement en se basant sur le modèle du labyrinthe que le projet prend forme. Alors que le joueur arrive dans la dernière pièce, les 7 fragments se rassemblent comme les pièces d’un puzzle pour former un miroir, la vérité sur Herbie est sur le point d’être révélée…


– La narration : La lecture de La mort de l’auteur, de Roland Barthes, vient faire écho au questionnement sur la place du joueur dans le jeu vidéo, soutenant par ailleurs l’idée que chaque joueur retire une expérience unique du jeu. Celui-ci propose, de la même manière que Barthes l’explique dans son article, de faire l’expérience unique d’une narration donnée : il ne s’agit plus de déchiffrer le schéma linéaire proposé par le narrateur mais de faire l’expérience de l’univers que ce dernier a mis en place pour quiconque interagirait avec ses possibles.
– Du récit à la maquette : Pour chaque lettre, isoler et identifier les ressorts que l’on va utiliser pour construire le récit, du fragment le plus contextuel au fragment le plus abstrait et engager un travail de réécriture pour composer progressivement ce portrait. Développer la partie sonore. Réaliser une maquette de la construction narrative corrélée à l’architecture des salles afin de visualiser de quelle manière les fragments s’assemblent au moment du portrait.
– Les premiers tests avec ChatGPT : La première salle et son accès au couloir sont créés. Avec l’aide de ChatGPT, les étudiant•es testent un premier essai de déplacement. C’est le moment des premières observations sur la jouabilité des éléments et des premiers ajustements techniques.
Comment poursuivre avec l’IA dans la co-création ? Mettant en perspective l’un des premiers romans de la littérature de science-fiction avec le développement actuel des IA génératives, l’enjeu de ce projet, outre d’expérimenter une nouvelle forme d’éditorialisation interactive, immersive et ludique dans un espace virtuel, est d’interroger la façon dont divers modes de création et de conception, notamment à travers l’écriture de prompts, induisent de nouveaux modèles collaboratifs. Couplé à d’autres logiciels et à d’autres outils, ChatGPT s’avère être un assistant de création particulièrement malléable et productif qu’il est possible d’améliorer en apprenant à le guider par les prompts. L’art du prompt, par lequel l’écriture fait son grand retour sur la scène de la création contemporaine, pourrait ainsi être abordé comme Terra Incognita nous invitant à réinventer nos pratiques et nos imaginaires dans un nouveau dialogue avec la machine.
